Le regard de Luc Barnaud, Chief IA & Data Officer
du Groupe BPCE
Dans le cadre de son étude « Stratégie Data : de la vision à l’engagement collectif », réalisée avec OpinionWay, Micropole met en lumière l’importance de structurer les stratégies data autour des besoins concrets des métiers pour en maximiser l’impact. L’étude révèle que l’adoption de la Data reste un défi, en particulier dans des organisations décentralisées.
A l’occasion de cette étude, Luc Barnaud, Chief IA & Data Officer du Groupe BCPE, deuxième acteur bancaire en France avec ses réseaux Banque Populaire et Caisse d’Epargne, a été interviewé afin de nous partager sa vision et son retour d’expérience sur l’importance de fédérer les compétences data des collaborateurs afin d’accompagner leur montée en compétences.
« L’acculturation à la Data passe par un accompagnement concret et une gouvernance décentralisée »
Le sujet de l’acculturation à la data est une priorité pour le groupe BCPE. Au cours de cet interview, Luc Barnaud nous présente les moyens déployés par le groupe pour fédérer les compétences data au sein de ses différents métiers, en créant notamment un réseau de 50 data managers pour accompagner la montée en compétences des collaborateurs. Il met par ailleurs l’accent sur le fait que la formation doit être ciblée et en adéquation avec les besoins spécifiques de chaque profil au sein de l’organisation. Il souligne également l’importance de la Culture Data, non seulement pour maximiser l’utilisation des données mais aussi pour garantir la qualité et l’efficacité de ces dernières dans la prise de décision stratégique.
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En quoi la Data transforme-t-elle le métier de banquier ?
Luc Barnaud : ” La donnée fait partie inhérente de notre métier depuis toujours : avant-même que l’informatique n’existe, on tenait des livres de compte. Mais jusqu’à quelques années encore, la Data était utilisée comme faisant partie des business process de chacun des métiers, sans vision transverse à l’échelle de l’entreprise. La création d’une filière IA & Data dédiée a permis une prise de conscience de la valeur intrinsèque des données pour encourager des usages plus sophistiqués. Pour cela, nous devions choisir des outils communs et faciliter le partage de données. « Désiloter » l’approche data a été également favorisée par les exigences réglementaires qui nécessitaient cette vision transversale. “
A quels enjeux répond cette harmonisation ?
” Cette approche transverse des données est au service de la performance de nos métiers et de la satisfaction de nos clients. Par exemple, en marketing, nous avons enrichi notre vision « produit » d’une approche « client centric », en utilisant des données financières mais aussi extra-financières. L’idée était d’identifier les moments de vie des clients (premier CDI, retraite…) pour mieux qualifier notre conseil et personnaliser la relation avec eux. Cela a représenté pour les Banques Populaires et les Caisses d’Epargne un véritable « shift » marketing.
La détection des fraudes est un autre enjeu important : nous gérons 11 milliards de transactions chaque année et devons protéger nos clients. Or, les fraudeurs sont de plus en plus créatifs et il est impératif de croiser des données qui viennent de plusieurs de nos domaines – et donc de différents systèmes d’information – pour être capable de repérer les signaux faibles et avoir une approche statistique de la probabilité de fraude.
Enfin, la numérisation des documents papier – encore très utilisés, notamment en agence – est un sujet d’efficacité opérationnelle pour nos conseillers et un défi Data dans la mesure où il s’agit de données non structurées. “
Quelle gouvernance avez-vous mis en place ?
” Au centre de notre dispositif se trouve le métier : c’est le décideur qui engage les budgets et détermine la feuille de route. Autour de lui, les expertes IA & Data et la DSI sont au service de la performance et de la simplification. Nous avons ensemble des commissions mensuelles et décidons des priorités.
Cette gouvernance est fondamentale, ce n’est pas un détail administratif : elle nous assure que les investissements sont parfaitement en ligne avec les priorités business des métiers et qu’on va aller jusqu’au bout de l’exécution, suivre les KPI et se donner la possibilité d’industrialiser ce qui fonctionne. Bien sûr, étant en charge de la Data au niveau Groupe, je suis force de proposition et d’innovation, mais nous sommes dans une logique où ce sont les établissements et les métiers qui portent l’ambition de transition. “
Cela suppose un socle de compétences data au sein des métiers. Avez-vous des experts décentralisés qui vous seraient rattachés ?
” Nous avons mis en place un réseau d’une cinquantaine de data managers sur lesquels nous avons beaucoup investi en matière de formation. Avec le concours de l’école Polytechnique, nous avons créé un cursus diplômant de haut niveau dédié pour ces Data Managers. Ils constituent la colonne vertébrale de notre organisation et travaillent au sein des Banques Populaires et des Caisses d’Epargne, mais aussi dans les filières et les Métiers du Groupe BPCE. Ils animent des comités stratégiques locaux et veillent à l’organisation : comment la Data est gouvernée et mise en qualité ? Les outils sont-ils homogénéisés ? Quels sont les usages IA ? Nous réunissons virtuellement ces data managers tous les quinze jours et travaillons avec eux dans une logique de co-construction.
Ce ne sont pas simplement les porte-paroles de la « direction centrale » IA & Data. Ils sont pleinement associés et contributeurs à la démarche Groupe et, par ailleurs, étant rattachés à leur direction générale, ils assurent le pilotage et l’exécution de la feuille de route de leur établissement. Notre réponse à une organisation décentralisée dans laquelle le partage des données était impossible n’a pas été de recentraliser, mais de fédérer. “
L’étude que nous avons menée avec OpinionWay montre que les formations data sont très concentrées vers le top management et les cadres de haut niveau. Quelle est votre approche ?
” Pour définir notre stratégie de formation, nous avons créé des « persona » : que vous soyez un dirigeant, un manager, un expert (data engineer, data scientists, etc.) ou un utilisateur métier, votre parcours de formation ne sera pas le même au sein de notre Data et IA Academy. Nous gérons cette dernière comme un produit. Plus de 20 000 collaborateurs de BPCE ont déjà suivi un ou plusieurs modules.
Je vois que votre étude montre que 73 % des collaborateurs estiment ne pas avoir un usage optimal de la Data. Cela pose la question des attendus : que veut-on faire ? Qui a besoin de quelles compétences ? Il faut adapter les formations au besoin. Si vous parlez à un directeur d’établissement, il vous expliquera que ses collaborateurs ont déjà énormément de formations chaque année et qu’on ne peut pas en ajouter en permanence sans discernement. Notre démarche consiste donc à s’adapter au besoin de connaissance des utilisateurs. “
Il faut adapter les formations aux besoins.
53 % des salariés seulement affirment utiliser la Data. Au-delà de la formation spécifique, comment gérez-vous l’acculturation du plus grand nombre ?
” L’acculturation est fondamentale. Nous avons mis en place des communautés d’utilisateurs autour de nos dispositifs de data visualisation, notamment Power BI. Nous avons 5000 collaborateurs qui produisent des applications sur cet outil et 50 000 qui vont l’utiliser pour consommer de la data.
Mais il ne suffit pas de sourcer et référencer des solutions extérieures pour que les gens participent, il faut accompagner l’usage. C’est pour cela que nous avons, par exemple, nommé un product owner pour Power BI. Nous avons des rituels, organisons des événements réguliers et notre réseau social interne permet même d’animer cette communauté.
Nous sensibilisons aussi beaucoup à l’importance de la qualité de la data. Des données mal renseignées entrainent des dommages considérables. Il est crucial de bien décrire pour bien analyser et faciliter la prise de décision. C’est encore plus vrai avec le déploiement de l’IA dont le succès part d’une bonne qualité des données. D’ailleurs, le déploiement de l’IA au sein des organisations nécessite une implication encore plus forte des RH et une politique de formation ambitieuse, car la question des compétences des collaborateurs y est plus déterminante que les aspects technologiques. “
La question des compétences des collaborateurs y est plus déterminante que les aspects technologiques.
Quels sont, selon vous, les critères qui définissent une bonne Culture Data au sein de l’entreprise ?
” D’abord, la prise de conscience de la valeur intrinsèque de la Data : elle n’est pas un simple rouage dans les process mais comporte un vrai potentiel d’opportunités. Ensuite, il est essentiel que la manière dont on envisage le déploiement de la stratégie data corresponde bien à la vision métier. C’est la condition sine qua non pour généraliser des usages. Enfin, que cet usage soit simple et satisfaisant pour les collaborateurs.
Pour avancer, il faut aussi mesurer les efforts : nous avons mis en place des diagnostics de maturité data, qui permettent d’évaluer les pratiques, le niveau d’homogénéisation des outils, l’acculturation des collaborateurs ou les process assurant la qualité de la donnée. Cela nous permet de cibler les améliorations à mettre en place et d’accompagner chacun selon ses besoins et son niveau. “
A propos de l’étude Culture Data
L’étude Culture Data, réalisée par OpinionWay pour Micropole, explore comment les entreprises intègrent les données dans leurs processus stratégiques et opérationnels, et identifie des écarts entre la vision des dirigeants et la réalité vécue par les collaborateurs.
La transformation numérique a repositionné la gestion des données au cœur des enjeux stratégiques des entreprises. Cependant, la mise en œuvre d’une véritable Culture Data reste un défi complexe. Nous avons cherché à comprendre comment les entreprises peuvent surmonter les obstacles technologiques, organisationnels et humains pour créer une utilisation efficace et pérenne des données.
Dans cette étude, vous retrouverez des tendances mais aussi les retours d’expérience de 10 experts de haut vol en matière de transformation data au sein de leur organisation :
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